Venezia and beyond avec Anastasia Kobekina
Révélée par la série «Jeunes Etoiles» du samedi matin à la chapelle de Gstaad puis plébiscitée par le public lors du vote en ligne de l'été 2021 sur Gstaad Digital Festival, la violoncelliste russe Anastasia Kobekina fait désormais figure d'habituée du Gstaad Menuhin Festival & Academy. D'une sensibilité à fleur de peau, à l'aise dans tous les styles, cette disciple de Frans Helmerson se forme aujourd'hui au violoncelle baroque dans la classe de Kristin von der Goltz à Francfort. Et c'est justement avec un programme faisant dialoguer les époques qu'elle fait le voyage de Saanen en compagnie de Julia Schröder et de l'Orchestre de Chambre de Bâle: quatre siècles de musique de Barbara Strozzi à Caroline Shaw, en passant par l'incontournable Antonio Vivaldi et ses sublimes offrandes au violoncelle.
À côté d’une quarantaine d’opéras, d’une cinquantaine de cantates et sérénades, d’une centaine de sonates et d’une poignée d’oratorios, on dénombre pas moins de… 500 concertos au catalogue d'Antonio Vivaldi. Ceux-ci ont été écrits pour la plupart à l'attention des jeunes filles orphelines, bâtardes ou abandonnées de l'Ospedale della Pietà de Venise où le «prêtre roux» officie en qualité de maître de violon et de composition. Si le violon se taille la part du lion avec près de la moitié de la production, le compositeur fait appel à presque tous les instruments en usage à son époque: le basson se voit ainsi doté d'une quarantaine d'opus, le violoncelle d'une trentaine, la flûte d'une vingtaine.
Vous croyez connaître Tomaso Albinoni en fredonnant son célébrissime Adagio? Grossière erreur! Cet Adagio n'est pas de lui, ou du moins pas complètement: il a été écrit en 1945 par Remo Giazotto à partir du fragment d'une sonate perdue de sa composition. «Perdu»: voilà un terme qui sied malheureusement à merveille à l'héritage du musicien italien, qui aurait dû reprendre l'entreprise de papier florissante de son père mais a décidé à sa mort de devenir musico di violino (après s'être lui-même décrit comme dilettante veneto). Ses quelque quatre-vingts opéras sont tous partis en fumée lors du bombardement de Dresde en 1945 et beaucoup d'éléments documentaires nous manquent pour nouer tous les bouts de son existence. Ne restent que les… «restes» de sa musique – et ils sont fort beaux! – pour perpétuer sa mémoire; ses opus instrumentaux, notamment, ont séduit jusqu'à l'oreille du grand Bach, qui leur a emprunté plusieurs thèmes pour ses propres compositions.
Née à Venise à l'époque où Claudio Monteverdi règne sur Saint-Marc, Barbara Strozzi est considérée comme la première femme à faire profession de la musique. Cette trajectoire audacieuse, elle la doit en partie à son père Giulio Strozzi. Membre influent des cercles littéraires et musicaux de la cité des doges, l'homme lui prodigue une solide éducation – complétée un temps par les cours de composition de Francesco Cavalli – et l'introduit auprès des académies de la ville, en particulier l'Accademia degli Unisoni qu'il a lui-même fondée et qui sera à l'origine d'une grande partie de ses compositions, ses membres mettant au défi la musicienne d'habiller de notes les textes qu'ils lui soumettent. C'est sans doute l'une des raisons qui la fera passer à côté de la création lyrique, pourtant très en vogue à Venise à cette époque, Barbara Stozzi livrant à la postérité exclusivement des pages pour voix et basse continue; celles-ci nous sont parvenues sous la forme de huit recueils totalisant quelque 125 pièces, soit un nombre bien supérieur à la plupart de ses confrères vénitiens du 17e siècle. Beaucoup portent la marque de commanditaires et/ou dédicataires prestigieux: le doge de Venise Nicolò Sagredo, Ferdinand III de Habsbourg et Eléonore de Nevers-Mantoue, la grande-duchesse de Toscane Vittoria della Rovere, ou encore Sophie de Bohême, duchesse de Brunswick.
Musicien vénitien, Antonio Sartorio partage sa vie active entre sa ville de naissance, pour laquelle il produit de nombreux opéras, et le nord de l'Allemagne, où il exerce comme maître de chapelle du duc Jean-Frédéric de Brunswick-Lunebourg puis à Hanovre, avant de rentrer à Venise où il s'illustre comme vice-maître de chapelle de la basilique Saint-Marc jusqu'à sa mort. Anecdote amusante: la Missa brevis ainsi que plusieurs psaumes et cantates composés durant ses années allemandes, nous sont connus grâce à leur redécouverte en 1958… dans le soufflet d'un orgue du village de Hüpede!
Née à Greenville, en Caroline du Nord, en 1982, Caroline Shaw commence le violon à l'âge de deux ans (!) et couche ses premières compositions sur papier à dix. Multidiplômée des universités Rice, de Yale et de Princeton, elle est en 2013 la plus jeune récipiendaire du prix Pulitzer de musique. Pièce pour alto et violoncelle créée en 2012 par Hannah Collins et Hannah Shaw, Limestone & Felt [Calcaire & Feutre] est – comme son nom le laisse supposer – une réflexion sur la matière, le dur et le doux, «l'abside d'une cathédrale et l'intérieur d'un chapeau» (pour reprendre les images de la musicienne), et, par extension, un dialogue sonore entre réverbération et étouffement, comme on peut en vivre au sein d'une chapelle gothique, «deux manières opposées d'expérimenter l'histoire et de construire son propre présent».
Le Concerto pour hautbois en ré mineur d'Alessandro Marcello fait partie des nombreuses œuvres italiennes transcrites par Jean-Sébastien Bach, devenant son Concerto pour clavecin BWV 974 (que l'on joue parfois à l'orgue). Il est issu de son principal recueil d'œuvres concertantes baptisé «La Cetra» [La Lyre]. Issu d'une famille de la noblesse vénitienne, Marcello – qu'il ne faut pas confondre avec son jeune frère Benedetto, lui aussi compositeur – est également écrivain, philosophe et mathématicien.
Le Concerto pour hautbois en ré mineur d'Alessandro Marcello fait partie des nombreuses œuvres italiennes transcrites par Jean-Sébastien Bach, devenant son Concerto pour clavecin BWV 974 (que l'on joue parfois à l'orgue). Il est issu de son principal recueil d'œuvres concertantes baptisé «La Cetra» [La Lyre]. Issu d'une famille de la noblesse vénitienne, Marcello – qu'il ne faut pas confondre avec son jeune frère Benedetto, lui aussi compositeur – est également écrivain, philosophe et mathématicien.
Si son pays le rejette, l'Occident avant-gardiste se prend de passion pour l'audacieux combat du franc-tireur: Silvestrov se voit remettre le Prix Koussevitzky en 1967 pour sa Troisième Symphonie (baptisée «Eschtaphony»), qui fait sensation l'année suivante à Darmstadt, Mecque du dodécaphonisme. Dans le sillage des Stravinski, Bartók et autre Stockhausen (qui se sont tous vus remettre ce prix prestigieux), il fait désormais partie de ceux qui comptent au sein de ce 20e siècle turbulent. Il aurait pu poursuivre dans cette voie, mais au fond de lui sa conscience d'indépendant l'appelle ailleurs. Mettant en pratique l'un des principes de base de l'avant-garde, qui consiste à se libérer de toutes contraintes à commencer par celles de… l'avant-garde, il se risque dès 1969 à un puissant changement de cap. Avec un peu de recul, on ose le terme de «néoromantisme», que d'aucuns traduisent par «nouvelle simplicité», «minimalisme» ou encore «musique méditative». Composée en 2002 et créée la même année à Kiev par la Camerata de la capitale ukrainienne, sa Stille Musik [Musique silencieuse (!)] pour orchestre à cordes s'inscrit parfaitement dans cette esthétique; il suffit d'en détailler le titre des mouvements pour s'en convaincre: «Walzer des Augenblicks» [Valse de l'instant], «Abendserenade» [Sérénade du soir] et «Augenblick der Serenade» [Instant de la sérénade].
État mai 2024